samedi 7 août 2010

L'insurrection qui vient - Comité invisible (2) : sur l'écologie

L'écologie, c'est la découverte de l'année. Depuis trente ans, qu'on laissait ça aux Verts, qu'on en riait grassement le dimanche, pour prendre l'air concerné le lundi. Et voilà qu'elle nous rattrape. Qu'elle envahit les ondes comme un tube en été, parce qu'il fait vingt degrés en décembre.
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Il n'y a pas de « catastrophe environnementale ». Il y a cette catastrophe qu'est l'environnement. L'environnement, c'est ce qu'il reste à l'homme quand il a tout perdu. Ceux qui habitent un quartier, une rue, un vallon, une guerre, un atelier, n'ont pas d'« environnement », ils évoluent dans un monde peuplé de présences, de dangers, d'amis, d'ennemis, de points de vie et de points de mort, de toutes sortes d'êtres. Ce monde a sa consistance, qui varie avec l'intensité et la qualité des liens qui nous attachent à tous ces êtres, à tous ces lieux. Il n'y a que nous, enfants de la dépossession finale, exilés de la dernière — qui viennent au monde dans des cubes en béton, cueillent des fruits dans les supermarchés et guettent l'écho du monde à la télé — pour avoir un environnement.
La situation est la suivante : on a employé nos pères à détruire ce monde, on voudrait maintenant nous faire travailler à sa reconstruction et que celle-ci soit, pour comble, rentable. L'excitation morbide qui anime désormais journalistes et publicitaires à chaque nouvelle preuve du réchauffement climatique dévoile le sourire d'acier du nouveau capitalisme vert, celui qui s'annonçait depuis les années 1970, que l'on attendait au tournant et qui ne venait pas. Eh bien, le voilà ! L'écologie, c'est lui ! Les solutions alternatives, c'est encore lui ! Le salut de la planète, c'est toujours lui ! Plus aucun doute : le fond de l'air est vert ; l'environnement sera le grand pivot de l'économie politique du XXIè siècle. A chaque poussée de catastrophisme correspond désormais une volée de « solutions industrielles ».

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L'écologie n'est pas seulement la logique de l'économie totale, c'est aussi la nouvelle morale du Capital. L'état de crise interne du système et la rigueur de la sélection en cours au nom duquel opérer de pareil tris. L'idée de vertu n'a jamais été, d'époque en époque, qu'une invention du vice. On ne pourrait, sans l'écologie, justifier l'existence dès aujourd'hui de deux filières d'alimentation, l'une « saine et biologique » pour les riches et leurs petits, l'autre notoirement toxique pour la plèbe et ses rejetons promis à l'obésité. L'hyper-bourgeoisie planétaire ne saurait faire passer pour respectable son train de vie si ses derniers caprices n'étaient pas scrupuleusement « respectueux de l'environnement ». Sans l'écologie, rien n'aurait encore assez d'autorité pour faire taire toute objection aux progrès exorbitants du contrôle.
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N'importe quelle perte de contrôle est préférable à tous les scénarios de gestion de crise. Les meilleurs conseils, dès lors, ne sont pas à chercher du côté des spécialistes en développement durable. C'est dans les dysfonctionnements, les courts-circuits du système qu'apparaissent les éléments de réponse logiques à ce qui pourrait cesser d'être un problème. Parmi les signataires du protocole de Kyoto, les seuls pays à ce jour qui remplissent leurs engagements sont, bien malgré eux, l'Ukraine et la Roumanie. Devinez pourquoi. L'expérimentation la plus avancée à l'échelle mondiale en fait d'agriculture « biologique » se tient depuis 1989 sur l'île de Cuba. Devinez pourquoi. C'est le long des pistes africaines, et pas ailleurs, que la mécanique automobile s'est élevée au rang d'art populaire. Devinez comment.
Ce qui rend la crise désirable, c'est qu'en elle l'environnement cesse d'être l'environnement. Nous sommes acculés à renouer un contact, fût-il fatal, avec ce qui est là, à retrouver les rythmes de la réalité. Ce qui nous entoure n'est plus paysage, panorama, théâtre, mais bien ce qu'il nous faut habiter, avec quoi nous devons composer, et dont nous devons apprendre. Nous ne nous laisserons pas dérober par ceux qui l'ont causée les possibles contenus dans la « catastrophe ». là où les gestionnaires s'interrogent platoniquement sur comment renverser la vapeur « sans casser la baraque », nous ne voyons pas d'autre option que de « casser la baraque » au plus tôt, et de tirer parti, d'ici là, de chaque effondrement du système pour gagner en force.
L'insurrection qui vient (éd. La Fabrique 2007) - 
6ème cercle, « l'environnement est un défi industriel ».

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