samedi 16 avril 2016

Prête à tout – Joyce Maynard, 1993

Suzanne Maretto 
[personnage principal du roman, cette jeune femme est coupable du meurtre de son époux, considéré comme un obstacle dans sa course au succès]
Un jour, j’ai entendu un truc dans une émission de télé qui m’a fait réfléchir ; je crois bien que c’est Cher qui a dit ça. Est-ce parce qu’une femme s’habille bien et se rase les jambes plus d’une fois par an qu’elle est forcément superficielle ?
De toute évidence, Cher est quelqu’un qui me ressemble beaucoup et en écoutant cette émission, j’ai découvert que c’était en réalité une femme très spirituelle. Elle a dit aussi cette chose que je n’ai jamais oubliée. En fait, c’était une question : « Si un arbre tombe dans une forêt, là où il n’y a personne pour le voir, est-il vraiment tombé ? »
J’ai beaucoup réfléchi à ça. A quoi bon faire quelque chose si personne ne vous voit ? Ça n’a pas plus de sens qu’un formidable repas sur une table, sans personne pour le manger. Cela me rappelle un article que j’ai lu dans le National Enquirer — un magazine que je n’ai pas l’habitude de lire, mais il n’y avait que ça chez l’esthéticienne ce jour-là — au sujet de ce pasteur dans le Nevada qui faisait des sermons tous les dimanches depuis des années alors qu’il ne restait plus aucun fidèle dans sa paroisse. Si vous voulez mon avis, ce n’est pas une preuve de sainteté. C’est débile.
Selon moi, tout ce que font les gens à travers le monde, c’est pour avoir un public, pour que quelqu’un les voie. Prenez les artistes, ils aiment exposer leurs œuvres dans les musées, non ? Et généralement, les musiciens aiment que les écoutent leur musique. S’il n’y a personne, c’est un peu comme l’arbre qui tombe dans la forêt. Vous me suivez ?
C’est ça, la magie de la télévision. C’est comme un œil posé sur vous en permanence. Qui vous regarde même quand il n’y a personne autour de vous et qui enregistre ce que vous faites. Et sachant qu’il est là, vous vous comportez mieux, sur tous les plans. Un peu comme avec Dieu, en exagérant.
Supposons que vous soyez dans une cabane au milieu des bois où personne ne vous verra pendant tout le week-end. Avez-vous une raison de prendre une douche ou de vous maquiller ? Maintenant, supposons que vous passiez à l’émission « Today ». Vous faites un peu plus attention à votre apparence.
S’il y avait des caméra de télévision dans toutes les maisons, tout le temps, comme celles qu’ils ont dans les banques et dans les boutiques pour surveiller les voleurs, croyez-vous que les mères continueraient à crier après leurs enfants et à les frapper ? Vous croyez que Deborah Norville était toujours aussi gentille avec son mari qu’elle l’était avec ses invités ? Et pour quelle raison ? Parce qu’il n’y avait pas de caméra de télévision dans le salon.
Prenez le régime d’Oprah. Regardez ce qu’il lui est arrivé. Elle était grosse, alors elle a suivi un régime draconien et elle a perdu plus de trente kilos. Elle est revenue sur son plateau en traînant derrière elle un chariot rempli de trente kilos de viande hachée, vêtue d’un jean moulant, superbe. Et pendant un moment, tout le monde ne parlait que de son régime, on disait que c’était formidable, apparemment elle allait enfin épouser Steadman Graham et ce serait formidable.
Et qu’est-ce qui s’est passé ? Elle a recommencé à manger n’importe quoi. Pas à la télé bien sûr. Vous n’avez jamais vu Oprah manger une assiette de frites pendant son émission. Le problème, c’est qu’elle n’était pas à l’antenne à chaque instant de la vie. Parfois, ils éteignaient les caméras. C’est là que les ennuis ont commencé. Et regardez-là maintenant, elle est redevenue obèse.
Vous pouvez dire : oh, c’est sa véritable nature qui ressort, la personnalité qu’elle montre à la télé n’est qu’une façade, ou appelez ça comme vous voulez. Personnellement, ça ne me gêne pas que ce soit une façade, du moment qu’elle est belle. Si suivre sa vraie nature, ça veut dire grossir de trente kilos, je préfère tricher un peu.
Voilà pourquoi j’ai toujours rêvé de faire de la télévision. Cela fait ressortir ce qu’il y a de meilleur en vous. Tant que vous êtes à la télé, il y a toujours quelqu’un qui vous regarde. Si les gens pouvaient passer à la télé tout le temps, nul doute que la race humaine dans son ensemble s’en porterait beaucoup mieux. Cela pose un problème : si tout le monde passait à la télé, il n’y aurait plus personne pour la regarder. Je deviens folle à force de réfléchir à tout ça. Ça peut me poser des problèmes parfois. Un jour, j’étais tellement absorbée dans mes pensées que j’ai oublié de me retourner sous la lampe à bronzer. Si vous aviez vu le résultat !

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