[Bigger, jeune Noir de Detroit, se retrouve au service d’une famille de riches Blancs. La fille, Mary, fréquente Jan, militant communiste pour la cause des Noirs.]
« Ne m’appelle pas ‘monsieur’. Je t’appellerai Bigger et toi tu m’appelleras Jan. C’est comme ça que ça se passera entre nous. Ca te va ? »
Bigger ne répondit pas. Mary souriait. Jan tenait toujours solidement sa main et Bigger avait penché sa tête de façon à n’avoir qu’à détourner les yeux pour regarder la rue lorsqu’il voulait éviter le regard de Jan. Il entendit Mary qui riait doucement.
« Rassure-toi, Bigger, Jan est tout à fait sérieux ».
Le sang lui montait à la tête. Qu’elle aille se faire foutre ! Est-ce qu’elle se moquait de lui ? Est-ce qu’ils se fichaient de lui, tous les deux ? Qu’est-ce qu’ils lui voulaient ? Pourquoi ne le laissaient-ils pas tranquilles ? Il ne les gênait pas. Oui, avec des gens de cette espèce, on pouvait s’attendre à n’importe quoi. Tout son corps, tout son esprit se concentraient dans une direction unique : il essayait désespérément de comprendre. Il se sentait idiot, assis derrière ce volant avec sa main dans celle d’un blanc. Que penseraient les passants ? Il était terriblement conscient de sa peau noire et se sentait de plus en plus convaincu que c’était Jan et ses semblables qui s’arrangeaient pour qu’il en fût ainsi. Les Blancs ne méprisaient-ils pas les noirs ? Alors pourquoi Jan se conduisait-il de cette façon ?Pourquoi Mary se tenait-elle aussi, l’air tout agitée, les yeux brillants ? Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien manigancer ? Peut-être qu’ils ne le méprisaient pas ? Mais ils lui faisaient sentir sa peau noire rien qu’en restant plantés là à la dévisager, l’un lui tenant la main et l’autre lui souriant. A cet instant, il avait l’impression de ne plus avoir d’existence physique ; il était quelque chose qu’il détestait, le symbole de la honte qu’il savait inhérente à la peau noire. Il se trouvait dans une région pleine d’ombre, un no man’s land à la frontière du monde des blancs et du monde des noirs qui était le sien. Il se sentait nu, transparent, il sentait qu’après avoir contribué à son abaissement, à sa déformation, ce blanc le relevait pour le considérer avec curiosité et se distraire. A cet instant précis, il éprouvait envers Mary et de Jan une haine muette, froide et inexprimable.
Jan retira sa main.
1ère partie - la peur
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