Awa sait la menace que porte notre existence à l’encontre de Babylone. [...]
Elle sait aussi ce qui est bon et beau dans nos quartiers.
Elle sait qu’on y abandonne pas les vieux, qu’on y trouve presque toujours des solutions pour loger les galériens, qu’on peut y acheter toutes sortes de choses à moitié prix, échanger et donner sans prétexte marchand, qu’il s’y déploie une contre-culture fulgurante convoitée par les restes poussiéreux de l’Occident. Awa sait qu’on s’y reconnaît d’un regard comme les héritiers de la communauté des indésirables. Elle n’a pas pu oublier cette chaleur au fond du ventre chaque fois qu’après plusieurs jours on y revient. [...]
Elle sait aussi tout ce qui se dresse et flamboie sur la zone.
Elle connaît l’intransigeance qui pousse sur nos terrains vagues, les rêves de gloire ou d’émancipation, la rage de dire et la maîtrise du mutisme qui anime ceux qui ne supportent plus de souffrir parce qu’ils sont nés maudits. Elle sait que les écoles brûlent parce qu’elles sont les premières à exclure, que les filles d’ici sont solides et fortes, rudes comme la rue. Elle sait pourquoi on s’y imagine en star célèbre et fortunée du foot, de la chanson ou du braquage plus facilement qu’en charge d’un poste honnête dans une boîte comme il faut. Elle comprend qu’on caillasse les pompiers lorsqu’ils accompagnent la répression, elle sait comment on peut mettre ses thunes dans des fringues avant de meubler son appartement, elle n’oublie jamais que lorsqu’on se parle d’avenir c’est en conspirant.
lAwa et Adama Sow, ou le cor de chasse et le corps de la bête.