vendredi 28 octobre 2016

Une fille comme les autres - Jack Ketchum


[Inspiré d’un fait divers survenu aux Etats-Unis dans les années 60, cette histoire est racontée par un garçon de 12 ans, David. David rencontre Meg, sa nouvelle voisine de 13 ans, et sa jeune sœur Susan, qui vivent chez leur tante Ruth. C’est là que les deux sœurs, après l’accident mortel de leurs parents, ont été placées. Mais Ruth nourrit une colère froide contre elles, contre Meg en particulier, au point d’en faire son souffre-douleur. Pendant tout un été, Ruth la séquestre et entraîne ses 3 fils, puis David et d’autres jeunes du quartier, dans une entreprise de démolition, d’humiliations et de torture à l’encontre de Meg. 
Jack Ketchum décrit l’évolution de la violence, de la manipulation que Ruth opère sur les enfants, et des sentiments de David.

Ici, Meg est enfermée dans l’abri anti-atomique sous la maison pour y subir de nouveaux tourments]


Acculée contre le mur en béton, elle [Meg] encaissait leurs coups, tel un punching-ball. À tour de rôle, ils lui enfonçaient leurs poings dans le ventre. Elle avait dépassé le stade des protestations. Donny la frappa et elle se recroquevilla, les bras croisés sur le ventre, ne laissant échapper que le son de l'air chassé de ses poumons. Sa bouche gardait une expression figée, inflexible. Ses yeux reflétaient une froide concentration.
L'espace d'un instant, elle redevint une héroïne. Seule contre tous.
Mais cela ne dura pas. Parce que, brusquement, il m'apparut clairement qu'elle n'avait d'autre choix que d'encaisser, impuissante. Et de perdre.
Et je me souviens d'avoir songé : Au moins, je ne suis pas à sa place.
Si je l'avais voulu, j'aurais même pu me joindre à eux.
Sur le moment, pensant cela, je ressentis une sensation de puissance.
Depuis, je me suis demandé : Quand est-ce arrivé, quand ai-je été — oui, c'est le mot — corrompu ? Et je reviens toujours à cet instant précis, à ces pensées.
Ce sentiment de puissance.
Il ne me vint pas à l'idée que ce pouvoir m'avait été octroyé par Ruth, et peut-être de manière provisoire. En cet instant, sa réalité ne me paraissait pas pouvoir être mise en cause. Alors que je regardais, la distance entre Meg et moi me sembla soudain considérable, insurmontable. Ce n'était pas tant que toute sympathie à son égard m'avait quittée. Mais pour la première fois, je la voyais comme étant fondamentalement différente de moi. Elle était vulnérable. Moi pas. Je bénéficiais d'un statut privilégié ici. Le sien apparaissait aussi bas que possible. Tout cela était-il inévitable? Je me souvins d'elle me demandant : « Pourquoi est-ce qu'ils ne m'aiment pas ? », et ne de pas l'avoir crue. Je n’avais aucune réponse à lui offrir. Quelque chose m'avait-il échappé ? Un défaut en elle que je n'avais pas remarqué et qui avait prédéterminé tout ceci ? Pour la première fois, je pensai que — peut-être — notre rupture avec Meg pourrait être justifiée.
J'avais besoin de croire cela.