[Inspiré d’un fait divers survenu aux Etats-Unis dans les années 60,
cette histoire est racontée par un garçon de 12 ans, David. David rencontre Meg,
sa nouvelle voisine de 13 ans, et sa jeune sœur Susan, qui vivent chez leur
tante Ruth. C’est là que les deux sœurs, après l’accident mortel de leurs parents,
ont été placées. Mais Ruth nourrit une colère froide contre elles, contre Meg
en particulier, au point d’en faire son souffre-douleur. Pendant tout un été, Ruth
la séquestre et entraîne ses 3 fils, puis David et d’autres jeunes du quartier,
dans une entreprise de démolition, d’humiliations et de torture à l’encontre de
Meg.
Jack Ketchum décrit l’évolution de la violence, de la manipulation que Ruth
opère sur les enfants, et des sentiments de David.
Ici, Meg est enfermée dans l’abri anti-atomique sous la maison
pour y subir de nouveaux tourments]
Acculée contre le mur en béton, elle [Meg] encaissait leurs coups, tel
un punching-ball. À tour de rôle, ils lui enfonçaient leurs poings dans le
ventre. Elle avait dépassé le stade des protestations. Donny la frappa et elle
se recroquevilla, les bras croisés sur le ventre, ne laissant échapper que le
son de l'air chassé de ses poumons. Sa bouche gardait une expression figée,
inflexible. Ses yeux reflétaient une froide concentration.
L'espace d'un instant, elle redevint une héroïne. Seule contre tous.
Mais cela ne dura pas. Parce que, brusquement, il m'apparut clairement
qu'elle n'avait d'autre choix que d'encaisser, impuissante. Et de perdre.
Et je me souviens d'avoir songé : Au
moins, je ne suis pas à sa place.
Si je l'avais voulu, j'aurais même pu me joindre à eux.
Sur le moment, pensant cela, je ressentis une sensation de puissance.
Depuis, je me suis demandé : Quand
est-ce arrivé, quand ai-je été — oui, c'est le mot — corrompu ? Et je
reviens toujours à cet instant précis, à ces pensées.
Ce sentiment de puissance.
Il ne me vint pas à l'idée que ce pouvoir m'avait été octroyé par Ruth,
et peut-être de manière provisoire. En cet instant, sa réalité ne me paraissait
pas pouvoir être mise en cause. Alors que je regardais, la distance entre Meg
et moi me sembla soudain considérable, insurmontable. Ce n'était pas tant que
toute sympathie à son égard m'avait quittée. Mais pour la première fois, je la
voyais comme étant fondamentalement différente de moi. Elle était vulnérable.
Moi pas. Je bénéficiais d'un statut privilégié ici. Le sien apparaissait aussi
bas que possible. Tout cela était-il inévitable? Je me souvins d'elle me
demandant : « Pourquoi est-ce qu'ils ne m'aiment pas ? », et ne de
pas l'avoir crue. Je n’avais aucune réponse à lui offrir. Quelque chose
m'avait-il échappé ? Un défaut en elle que je n'avais pas remarqué et qui avait
prédéterminé tout ceci ? Pour la première fois, je pensai que — peut-être —
notre rupture avec Meg pourrait être justifiée.
J'avais besoin de croire cela.