vendredi 18 avril 2014

A nos amis - le Comité invisible, 2014

La rhétorique occidentale est sans surprise. A chaque fois qu’un soulèvement de masse vient abattre un satrape hier encore honoré de toutes les ambassades, c’est que peuple « aspire à la démocratie ». Le stratagème est vieux comme Athènes. Et il fonctionne aujourd’hui si bien que même l’assemblée d’Occupy Wall Street a cru bon, en novembre 2011, d’allouer un budget de 29 000 dollars à une vingtaine d’observateurs internationaux pour aller contrôler la régularité des élections égyptiennes. Ce à quoi des camarades de la place Tahrir, qu’ils croyaient ainsi aider, ont répondu : « En Egypte, nous n’avons pas fait la révolution dans la rue dans le simple but d’avoir un parlement. Notre lutte — que nous pensons partager avec vous — est bien plus large que l’obtention d’une démocratie parlementaire bien huilée ». 

mercredi 16 avril 2014

Tarnac, magasin général – David Dufresne, 2012

Dans l’investigation, la grande partie du travail pouvait maintenant se résumer à une question de rentabilité, de plus-value minute et de rotation : surtout, passer d’une affaire à l’autre, ne pas creuser au-delà de l’économiquement raisonnable, ne pas douter, fureter toujours, et fourguer encore. (...)
Ces considérations n’étaient pas nouvelles, elles avaient simplement gagné en intensité. La crise économique qui frappait la presse avait rendu ces travers plus criants. Le présent devenait bel et bien sans issue.
L’affaire de Tarnac était un beau cas d’école. Plus je l’étudiais, et plus elle m’isolait. La normalité ambiante devenait étouffante, cette normalité qui voudrait qu’un gros titre en bouscule un autre, que l’on passe de la sursaturation d’une affaire à plus rien, qu’on se contente de seuls petits éléments factuels, policiers, absolument essentiels mais résolument trop courts, pour saisir l’époque ; je n’en voulais plus. J’avais trop versé dans la combine.
Chapitre 35 – Jocelyne C.

Journaliste, c’est un sale métier que l’on peut faire proprement, m’avait enseigné un ami de Libération. J’avais souvent repris la formule à mon compte, ajoutant une autre sentence que l’ami répétait : « L’information est une mission et nous en sommes les soldats. » J’avais même cru à ses sornettes, mais le métier avait changé, il s’était au contraire assagi, devenu propre ou se croyait tel. On y entrait désormais après Sciences Po. Le métier avait fait ses cures, et trouvé ses curés. Il s’était doté d’agents autonettoyants, chargés de veiller aux bons codes et aux bons gestes. Il était devenu un pouvoir, un vrai clergé, inféodé aux autres et à la vitesse. Le journalisme s’était éloigné de ses origines et tout le monde lui jetait des pierres. Clean, propre, sans aspérité, sans prise de position. L’investigation se résumait de plus en plus à un journalisme de dénonciation, là où elle aurait dû être portée par le souci de compréhension. Qui avait fabriqué le scenario Coupat et pour servir quel discours ? Dans son ensemble, la presse s’en moquait. Elle était passée à autre chose, trop soucieuse d’oublier qu’elle avait fait partie intégrante du storytelling, suivant les flics comme un seul homme, avant de virer de bord avec le même entrain, sans jamais se poser de question.
Chapitre 13 – Gérard C.