Dies irae
Le moment de la lutte armée, ce moment exact qu'on appelle guerre, est
un intervalle d'espoir. On opère des stratégies, on trime à couvert, on charge,
on défonce les mines, on se faufile, on baise les bidasses, on s'obstine, on se
fait surprendre, on met un genou à terre, on se fait éclater le bras par un
obus, on fait semblant de dormir, on recule, on les nique de nuit par la mer,
on les saccage par le ciel, on creuse plus profond les tranchées, on se compresse
dans les souterrains, on trépigne, on se vautre dans la boue, on rampe, on
trouve enfin à bouffer, on trouve même que la merde de rat a bon goût, on se
remobilise, on remonte au front, on se transcende 7/7 aux 3-8 pour prendre le
mal à rebours.
Défendre est l'unique raison d'être d'un vrai guerrier. Son espoir est
positivement proportionnel aux lésions subies et infligées, les brûlures au
huitième degré, les yeux crevés, les bras arrachés, les mâchoires en bouillie,
les descentes d'organes, les amputations, les enfoncements crâniens. La
barbarie est juste, les commotions réparent, c'est la guerre nourricière.
Anéantir n'importe quoi plutôt que de ployer, n'importe qui plutôt que de céder
au lancinement de ses propres entailles.
Et puis un beau matin, sans qu'un carnage objectivement pire que les
précédents ne soit advenu, un murmure, sur le front, C'est fini. Quoi, comment
ça, fini, ferme ta gueule, j'ai pas du tout fini moi, et mon foie crevé il est
fini aussi, depuis quand t'es une merde toi, espèce de chiottes sèches, vas-y
viens, on va les démonter. Un décret a été signé, à partir de dorénavant celui
qui n'a pas gagné a perdu mais ça n'a aucune importance parce que vous êtes
tous amis, merci pour tout, rentrez bien, prenez soin de vous, soyez heureux.
Il n'y a vraiment que le fond de cuve des bisounours pour croire qu'en
tête de front on se bat pour la paix. Le vrai guerrier existe dans la guerre,
désire la guerre, jouit dans les bras de la guerre. Tant qu'il détruit, il
croit. À son triomphe, ou peut-être même à sa perte, mais chaque jour deux pas
en arrière c'est encore marcher. C'est sûrement pour ça que les guerres durent
longtemps. Résister, provoquer les coups, la fureur en ambulatoire, la haine en
sous-cutané, c'est encore être vivant.