lundi 28 novembre 2011

Le président des riches - Michel Pinçon & Monique Pinçon-Charlot

5. Nicolas Sarkozy, avocat d'affaires - le droit comme propédeutique à la politique

Le droit et la politique ont partie liée depuis longtemps. Le pouvoir est exécutif et législatif. Il applique les lois, les crée ou les modifie.
Les classes populaires et, dans une moindre mesure, les classes moyennes n’ont d’accès à la chose juridique que dans une situation contrainte. Le citoyen ordinaire n’a à connaître les méandres du droit qu’en tant que victime ou coupable. À l’inverse, les personnes issues de milieux favorisés ont accès dès leur enfance à une culture juridique inhérente à leur classe sociale. Les affaires et le patrimoine ne vont pas sans problèmes qui trouvent leur solution devant les tribunaux de commerce ou au civil. Il y a toujours quelque question fiscale ou immobilière qui réclame l’intervention de conseillers, souvent un notaire, ami de la famille. Les études de droit, ou d’économie, renforcent les premières approches offertes par le milieu familial. La loi est une forme d’existence des relations entre les classes : les avantages acquis de la haute société sont protégés par elle. La loi exprime donc un rapport de forces à un moment donné : la fixation par le droit du travail de la durée légale du temps de travail le dit clairement.
La maîtrise du droit est très inégalement répartie. Presque nulle en milieu populaire, elle est un facteur d’accès beaucoup plus aisé à la politique pour les jeunes bourgeois. Études de droit et goût du pouvoir mêlés donnent les bases des grandes ambitions politiques. Mais ce goût du pouvoir, d’où peut-il venir ?
Le goût du pouvoir n’est pas inné, il se construit dans un environnement et au fil d’une histoire familiale et sociale. Il est constitutif de l’éducation des enfants des classes dominantes. Le père et, de plus en plus souvent, la mère occupent des positions d’autorité dans la société, d’un point de vue professionnel mais aussi par la possession d’un patrimoine important. La puissance omniprésente est redoublée par des cadres de vie qui symbolisent, par l’ampleur des espaces et la richesse décorative, la supériorité et la démesure. Les tâches domestiques sont déléguées, ce qui introduit des relations de pouvoir sur autrui jusque dans l’intimité du domicile familial. Élevés dans un univers où les profits matériels et symboliques vont de soi, les enfants des classes supérieures sont construits de façon à aspirer aux mêmes avantages pour leur âge adulte.
Le goût du pouvoir est inculqué par la famille, mais aussi par l’école et les rallyes, ces groupes de jeunes issus du même milieu social favorisé et choisis par les mères pour organiser collectivement les loisirs de leurs enfants. L’envie de l’autorité doit être comme celle de la lecture ou de la musique, une satisfaction, un plaisir, une réalisation du plus intime de soi-même, une seconde nature. Sans cette intériorisation profonde des droits et des devoirs que lui donne sa position dominante, le grand bourgeois pourrait vivre nombre de contraintes, telles que celles des mondanités, comme du temps perdu dans un ennui profond.
Habitant à Neuilly, fréquentant les écoles de la grande bourgeoisie, tout en se situant aux franges les moins favorisées de cette classe, Nicolas Sarkozy avait toutes les chances de développer un goût du pouvoir hypertrophié. Il s’agit peut-être pour lui d’assurer une continuité avec ses origines, mais aussi de prendre sa revanche sur ses camarades de classe plus favorisés que lui par la fortune. Ayant été trop souvent le second, il rêvait d’être enfin le premier.


7. promenade en Sarkozye - Au cœur des ténèbres

(...) en passant de l’autre côté de l’Arche, on trouve, à peu près en symétrie avec le PULV, les tours de la Société générale. À leur pied, de nombreux traders, genre « bobos », viennent fumer et se relaxer après avoir fait valser quelques millions. Avec leurs 167 mètres de haut, ces tours incarnent la volonté de domination de la finance. Entre la monumentalité triomphante des deux tours s’enchâsse le cœur de la spéculation où se construisent et parfois s’écroulent en quelques instants les fortunes mises en jeu. D’ici se sont évaporés quelques milliards, prélude de la première crise du siècle commençant. On achète et on vend en quelques clics de souris, sans se soucier des conséquences. Les sommes mises en circulation dans ces monstrueux casinos sont devenues virtuelles et n’ont plus aucune commune mesure avec les échanges réels de biens et de services.

Début 2008, la Société générale disposait d’un solide magot puisqu’elle n’a pas su déceler l’évaporation des sommes colossales misées par un joueur habile, prêt à faire gonfler et gonfler encore une bulle qui ne révèle son néant qu’en éclatant. Mais, comme toute bulle, tôt ou tard, explose, celle de Jérôme Kerviel s’en est allée au pays des ombres. Qu’à cela ne tienne, la Société générale, plus gaillarde que jamais, fait construire à quelques pas de là une nouvelle salle des marchés, encore plus grande, encore plus sophistiquée, encore plus loin du monde du travail. Scolastiques des temps modernes, les spéculateurs, dans leurs tours de verre et de métal, jouent et rejouent, loin des champs, des ateliers, des mines, des écoles et des laboratoires, où le travail créatif construit, fabrique et invente. La richesse ou son illusion, avec les fumeux produits dérivés, alimente la folie des grandeurs que célèbrent symboliquement des tours toujours plus hautes. Métaphysiciens numériques, les traders agencent des pixels sur leurs écrans dans l’espoir que leurs petits jeux auront un sens. Les profits fabuleux pour quelques-uns, la gêne et la misère pour beaucoup : les brillants mathématiciens ne peuvent s’investir dans leur activité à haut risque qu’en ayant perdu tous les repères de la condition humaine.
À gauche des tours, un escalier mène au panneau du permis de construire de la nouvelle salle des marchés, dont la livraison est prévue pour avril 2011. Elle pourra accueillir le labeur de nombreux traders. Quelques-uns d’entre eux n’auront eu que le parvis de La Défense à traverser, en venant directement de la Fac Pasqua.
À quelques encablures de là, un autre monde : celui des cités de logements sociaux de Nanterre. Les tours d’HLM, dessinées et colorées par Émile Aillaud, gérées par l’office départemental et par l’office municipal de Nanterre, ont accueilli les habitants expulsés de La Défense. « Nanterre a servi de réceptacle, constate Patrick Jarry, pour des gens dont personne ne voulait ailleurs. » Les tours de logements sociaux face aux tours de la finance : la France d’en bas face à celle d’en haut. Mais quel sera l’avenir de ces logements sociaux, quand on connaît les menaces qui pèsent sur ceux qui sont inclus dans le périmètre de La Défense ? Et les prix que chaque parcelle de ce sol peut atteindre ? « Si on n’est pas riche, dit une toute jeune élève de l’école Maxime-Gorki, qui habite l’une de ces tours décorées de petits cumulus de beau temps, et s’ils détruisent les tours, on va se retrouver à la rue, ils s’en fichent de nous. Eux, ils ont de jolies tours et nous, elles sont moches. » Toujours au micro de France Inter, tenu par Pascale Pasquariello, une trader de la Société générale est bien du même avis : « Ces tours, c’est pourri », dit-elle.

8. Les mots pour ne pas le dire - immaturité de la finance, solénnité doctorale des discours

Bouclier, niches et paradis fiscaux, parachutes dorés et retraites chapeaux : guerrière et enfantine, cette énumération évoque les champs de bataille, les jeux d’enfants, Adam et Ève avant leur expulsion. L’hermétisme des anglicismes et plus encore des sigles cabalistiques, LBO, CDS, CDO, font des marchés financiers des sectes ésotériques. Ces langages codés contribuent à exclure la majorité des Français de la planète finance, qui est pourtant aussi la leur. Ces marchés dits libres, où l’on vend du vent au vent, invisibles et mystérieux, manipulent les milliards comme Dieu l’univers.
Le capitalisme financier apparaît comme une économie capricieuse, sans la maturité du renoncement nécessaire, ni même celle de l’ajournement provisoire. C’est une vision à courte vue. Ainsi, le néolibéralisme est un singulier retour d’âge par rapport à un capitalisme qui tenait compte des rapports de forces. Comme chez un enfant dont le surmoi en formation laisse encore passer les désirs fougueux et transgressifs, le système néolibéral apparaît comme puéril. Il recrute par la fascination du pouvoir, et singulièrement de celui que donne l’argent.
L’absence d’accès à la culpabilité, dimension de l’immaturité et de la perversion narcissique, liée à cet inachèvement de la construction de l’individu, explique l’apparent cynisme des dominants et tout particulièrement de ceux qui émergent de manière brutale à l’occasion de ces réussites accélérées par la financiarisation de l’économie. La violence dans les rapports sociaux s’aggrave.
Début 2010, le fabricant de pneumatiques Continental a fermé son usine de Clairoix dans l’Oise, licenciant 1 120 salariés. La direction leur a proposé, comme sauvegarde de l’emploi, des postes en Tunisie à 137 euros par mois, provoquant l’indignation des travailleurs concernés.
Michel Pinçon & Monique Pinçon-Charlot

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