lundi 24 février 2020

Gustave Hervé, sur la manifestation qui fit suite à l'exécution de Francisco Ferrer, 1909

Gustave Hervé, dans "la guerre sociale", 17 octobre 1909.

Il n'y avait entre les flics et nous qu'un simple malentendu. Ces messieurs s'imaginaient que c'était leur droit strict, à chaque manifestation, même paisible, de se jeter sur nous à coups de poings, à coups de casse-tête et à coups de sabre. Nous, nous émettions humblement la prétention de manifester dans la rue, librement, à condition que ce fût pacifiquement. Ce malentendu durait depuis des siècles, depuis qu'il y a des policiers et des hommes libres. Depuis l'Empire, ils n'avaient fait que s'aggraver tous les ans, à mesure que Marianne prenait de l'âge.
Aux charges des gardes républicains et à leurs coups de sabre, nous avons riposté à coups de revolvers. Aussitôt, on s'est expliqués et tout le monde nous a compris, à commencer par Briand-la-Jaunisse**, et tout s'est passé paisiblement. 100.000 parisiens ont défilé à 200 mètres de l'ambassade d'ESpagne, conspuant l'assassin, sans qu'il y ait eu, pendant tout le défilé du cortège, une seule bagarre. La preuve est faite que quand la police ne crée pas du désordre, il n'y en a pas. Que nos camarades révolutionnaires qui ont pu s'offusquer de notre subit accès de modérantisme ne s'alarment pas. Parce que nous avons arraché à nos gouvernements et à nos policiers le droit de manifester dans la rue. Nous n'avons pas renoncé pour cela aux moyens révolutionnaires. Chaque chose en son temps. Les manifestations paisibles dans la rue sont une chose ; les insurrections en sont une autre. Les unes n'empêchent pas les autres, au contraire.

* Francisco Ferrer était un syndicaliste ouvrier, partisan d’une évolution progressive de la société par le développement de l’éducation. Le 26 juillet 1909, à Barcelone, Solidarida Obrera et le syndicat socialiste UGT proclament une grève générale pour protester contre la guerre du Rif, et le 29 juillet le gouvernement écrase l’insurrection. La répression, sanglante, dure jusqu’au 2 août. Le bilan de la répression est de 78 morts, 500 blessés et 2.000 arrestations. Ferrer est arrêté et mis au secret, victime d'une instruction bâclée et à charge. Le 13 octobre, lorsque Ferrer est exécuté, le scandale est énorme. Une manifestation spontanée rassemble à Paris, plusieurs dizaines de milliers de personnes qui investissent l’ambassade d’Espagne.
** surnom d'Aristide Briand, ministre de l'Intérieur à cette période.

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