… j’ai écouté des cow-boys, des ranchers et des citadins, dont beaucoup picolaient encore en fin de repas, évoquer la situation politique. Au cours des deux ou trois dernières, j’ai appris à être davantage attentif aux opinions délirantes des pochetrons qu’aux idées fumeuses des nababs des journaux et de la télévision. Les pochetrons sont parfois absurdes (« Halliburton refilera un milliard de dollars à Georges Bush dès qu’il finira son second mandat »), mais ils défendent des points de vue plus excitants, plus originaux, que les nababs qui sous-entendent toujours qu’ils bénéficient de sources inaccessibles au commun des mortels, même si ces sources secrètes n’ont apparemment rien de nouveau à nous apprendre.
samedi 9 octobre 2010
jeudi 7 octobre 2010
Le viol de l’imaginaire – Aminata Traoré (2)
Quand, en Afrique, nous nous insurgeons contre nous-mêmes, nous nous demandons pourquoi l’Autre – en l’occurrence l’Occident – est toujours en position de dominer si ce n’est parce que nous sommes colonisables. En général, nous n’aimons pas regarder cette face de la médaille ; nous l’occultons de peur de dédouaner l’agresseur.
Avoir été colonisable et le demeurer suppose qu’en dépit de nos dénonciations politiques nous envions l’Autre bien qu’il soit l’agresseur. Pourquoi ? le paradoxe n’est qu’apparent. La puissance colonisatrice limite notre capacité de résistance en s’attaquant à l’image que nous avons de nous-mêmes. Celle-ci est frappée de désamour. Il s’agit d’une situation où l’Autre ne vous aime pas tel(le) que vous êtes et vous le fait savoir. Pour avoir intériorisé son regard, vous ne vous aimez pas davantage. C’est alors que, progressivement, vous aspirez à être et à vivre comme lui. Chaque élément constitutif de son image et de son identité qu’il vous donne à voir et à consommer devient un modèle à imiter : comportement social, habillement, habitat, nourriture, langage, loisirs, etc.
Le viol de l’imaginaire – Aminata Traoré – 2002 (1)
[Altina, une femme malienne, vient de perdre ses deux fils, victimes de maladie]
Altina vivait seule avec ses quatre enfants, dont la première, une fille de douze ans, était bonne dans le quartier. Layla, son mari, était allé tenter sa chance à l’étranger. Etait-ce en Côte d’Ivoire ? Etait-ce au Ghana ? Altina ne le savait pas. Il n’avait pas donné signe de vie depuis son départ, il y a trois mois de cela. Sékou, qui était son second enfant, avait neuf ans. Altina n’avait pas les moyens de faire face à des frais de scolarisation et l’avait inscrit dans une école franco-arabe, une médersa. Bouba, le troisième enfant, avait sept ans. Il n’allait ni à la médersa ni à l’école ; il mendiait, de temps à autre, au carrefour. Le dernier enfant d’Altina était une fillette de deux ans. Elle dormait profondément au moment où ses deux frères s’en allèrent.
(…)
Je rencontrais Altina qui me fit le récit de cette nuit où, selon ses propres termes, Dieu fut son seul témoin. J’ai le devoir d’en rendre compte pour dire qu’ici aussi les cœurs sont en pleurs, que, comme Altina, des milliers de femmes africaines, asiatiques, arabes, sudaméricaines enterrent chaque jour des enfants qui meurent de faim, de malnutrition ou de maladies guérissables. La communauté internationale est parfaitement consciente de cette tragédie humaine qui se déroule loin des caméras. Les femmes elles-mêmes meurent en couches, par centaines, dans des hôpitaux ou loin de tout centre de soins. Il y a aussi ces innombrables morts faute d’emplois, de revenus et de perspectives, souvent condamnés à l’exil, une fuite à l’issue incertaine et parfois tragique.
Il n’y a jamais d’union sacrée face au sort, de plus en plus lamentable, des peuples déshérités et désespérés du Sud. Nos voix sont à peine audibles. L’humanité s’est installée dans une situation où les cœurs, toujours plus désabusés et asséchés, ne s’émeuvent — et encore — que lorsque la mort frappe brutalement la multitude, de préférence à New York ou Washington. L’intensité et la sincérité de l’émotion sont fonction du statut social et économique des victimes et — nous venons de l’apprendre — du prestige du lieu où le malheur survient. Tout se passe comme certaines vies valaient mieux et plus que d’autres, comme si la mort seyait mieux au Sud qu’au Nord.
chapitre : l'autre, si loin, si humain
Rwanda, généalogie d'un génocide – Dominique Franche (2)
En finir avec les « guerres ethniques »
L'adjectif «ethnique», qui vient du vocabulaire ecclésiastique, signifiait aussi «païen», par opposition à «chrétien», en français comme dans d'autres langues. Et, chez les Grecs, les ethné s'opposaient à la polis, à la Cité. «Ethnie» suppose ainsi son contraire: le groupe qui détient la vérité, celle de l'Eglise ou celle de la Cité. Aux Etats-Unis, les expressions «ethnicgroup » et «ethnicity » sont appliquées aux minorités d'origine non anglo-saxonne et/ou non protestante (Irlandais, Indiens, Noirs, etc.), pas à la communauté «White Anglo-Saxon Protestant» qui détient le pouvoir: seuls les dominés ont une ethnicité, parfois revendiquée aujourd'hui pour résister à la domination WASP.
De même, chez les scientifiques européens, «ethnie» a longtemps été réservé aux peuples sans écriture, aux «primitifs» qu'étudiait l'ethnologie coloniale. Les «ethnies» étaient les populations dont on jugeait qu'elles n'avaient pas atteint un niveau de civilisation suffisant pour être comptées parmi les «nations», vocable réservé aux peuples des races dites «supérieures». Directement ou indirectement, les idées racistes sont associées au mot «ethnie». L'ethnie, c'est l'autre, le sous-développé, l'inférieur : nous avons fait des guerres, ils font des guerres ethniques, car ces gens-là ne sont pas comme nous.
Rwanda, généalogie d'un génocide – Dominique Franche (1)
Comment la colonisation créa l'opposition raciale ou ethnique.
Comment ? En plaquant sur les sociétés rwandaise et burundaise un schéma d'interprétation raciste. Placage d'autant plus aisé chez les Européens que cette région d'Afrique les faisait fantasmer depuis plusieurs millénaires.
(…)
Des monts et merveilles
Pour un Richard Kandt, qui avoue sa déception devant les quelques gouttes de la source du Nil qu'il vient de découvrir, et qui donne une description équilibrée de la société rwandaise, combien d'explorateurs et de missionnaires qui entretiennent les rêves de leurs lecteurs ! Désir de se mettre en avant par du sensationnel, souci de susciter l'intérêt de nombreux donateurs, crainte de briser des idoles si anciennes, ou aveuglement devant une réalité dont certains éléments pouvaient être tirés dans le sens des récits anciens, tout cela se combine probablement pour expliquer par exemple l'invention des pygmées au Rwanda. (…)
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