[Altina, une femme malienne, vient de perdre ses deux fils, victimes de maladie]
Altina vivait seule avec ses quatre enfants, dont la première, une fille de douze ans, était bonne dans le quartier. Layla, son mari, était allé tenter sa chance à l’étranger. Etait-ce en Côte d’Ivoire ? Etait-ce au Ghana ? Altina ne le savait pas. Il n’avait pas donné signe de vie depuis son départ, il y a trois mois de cela. Sékou, qui était son second enfant, avait neuf ans. Altina n’avait pas les moyens de faire face à des frais de scolarisation et l’avait inscrit dans une école franco-arabe, une médersa. Bouba, le troisième enfant, avait sept ans. Il n’allait ni à la médersa ni à l’école ; il mendiait, de temps à autre, au carrefour. Le dernier enfant d’Altina était une fillette de deux ans. Elle dormait profondément au moment où ses deux frères s’en allèrent.
(…)
Je rencontrais Altina qui me fit le récit de cette nuit où, selon ses propres termes, Dieu fut son seul témoin. J’ai le devoir d’en rendre compte pour dire qu’ici aussi les cœurs sont en pleurs, que, comme Altina, des milliers de femmes africaines, asiatiques, arabes, sudaméricaines enterrent chaque jour des enfants qui meurent de faim, de malnutrition ou de maladies guérissables. La communauté internationale est parfaitement consciente de cette tragédie humaine qui se déroule loin des caméras. Les femmes elles-mêmes meurent en couches, par centaines, dans des hôpitaux ou loin de tout centre de soins. Il y a aussi ces innombrables morts faute d’emplois, de revenus et de perspectives, souvent condamnés à l’exil, une fuite à l’issue incertaine et parfois tragique.
Il n’y a jamais d’union sacrée face au sort, de plus en plus lamentable, des peuples déshérités et désespérés du Sud. Nos voix sont à peine audibles. L’humanité s’est installée dans une situation où les cœurs, toujours plus désabusés et asséchés, ne s’émeuvent — et encore — que lorsque la mort frappe brutalement la multitude, de préférence à New York ou Washington. L’intensité et la sincérité de l’émotion sont fonction du statut social et économique des victimes et — nous venons de l’apprendre — du prestige du lieu où le malheur survient. Tout se passe comme certaines vies valaient mieux et plus que d’autres, comme si la mort seyait mieux au Sud qu’au Nord.
chapitre : l'autre, si loin, si humain
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