Quand, en Afrique, nous nous insurgeons contre nous-mêmes, nous nous demandons pourquoi l’Autre – en l’occurrence l’Occident – est toujours en position de dominer si ce n’est parce que nous sommes colonisables. En général, nous n’aimons pas regarder cette face de la médaille ; nous l’occultons de peur de dédouaner l’agresseur.
Avoir été colonisable et le demeurer suppose qu’en dépit de nos dénonciations politiques nous envions l’Autre bien qu’il soit l’agresseur. Pourquoi ? le paradoxe n’est qu’apparent. La puissance colonisatrice limite notre capacité de résistance en s’attaquant à l’image que nous avons de nous-mêmes. Celle-ci est frappée de désamour. Il s’agit d’une situation où l’Autre ne vous aime pas tel(le) que vous êtes et vous le fait savoir. Pour avoir intériorisé son regard, vous ne vous aimez pas davantage. C’est alors que, progressivement, vous aspirez à être et à vivre comme lui. Chaque élément constitutif de son image et de son identité qu’il vous donne à voir et à consommer devient un modèle à imiter : comportement social, habillement, habitat, nourriture, langage, loisirs, etc.
Les différents aspects de la tragédie africaine peuvent et doivent être examinés à la lumière de ce processus de dépersonnalisation qui s’observe au niveau individuel et étatique. A défaut d’avoir pu nous frayer un chemin propre à partir des années 1960, date de l’accession de la plupart de nos états à l’indépendance, nous avons tendance à redevenir, avec la globalisation, ces millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme et le recolonisation a de beaux jours devant elle. (…)
Rien n’a fondamentalement changé dans le regard de l’Autre ni dans notre mentalité de colonisés. Nous ne sommes pas guéris, ou pas suffisamment, du renoncement à notre être profond, ni du mépris qui peut aller jusqu’à la haine de nous-mêmes, des nôtres et de tout ce qui en émane. (…) Quand, dans le cadre de négociations, l’Autre se dresse devant nous, nous finissons par céder en estimant qu’il n’a pas d’autre alternative à la voie qu’il a tracée. « There is no alternative » : plus nous montons dans la hiérarchie sociale, plus cette triste réalité se confirme. Les couches sociales populaires, et notamment les femmes, savent puiser dans le patrimoine culturel africain, matériel et immatériel. La classe moyenne (qui tend à disparaître avec la paupérisation qui n’épargne qu’une minorité) imite aussi dans la mesure de ses moyens. L’élite, quant à elle, n’a de statut que dans la fusion avec le maître. L’autre Afrique commence donc par la décolonisation des esprits. Son avènement est un préalable à notre participation à l’ordre du monde sur des bases autres que celles de la subordination et de la simulation.
chapitre : Dire « je » et « nous »
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