vendredi 14 août 2009

La révolution inconnue – Voline (1947)


Début du 20è siècle. 

Les idées socialistes et révolutionnaires percent parmi les ouvriers, de plus en plus nombreux à avoir quitté les campagnes pour les grandes industries florissantes. Après une période de timides réformes vers la fin du siècle précédent, le gouvernement revient à une pure  tyrannie et à une répression violente afin d'enterrer toute velléité de changement parmi le peuple. 

Voline, acteur majeur de la révolution russe, en raconte la genèse. 
Ici, il parle de l'entrisme que pratiquait le gouvernement russe au sein de la population ouvrière, pour la tenir éloignée des tentations subversives.


XXè siècle. Evolution précipitée – progrès révolutionnaires – dérivatifs (1900-1905).


L'extension rapide de l'activité révolutionnaire à partir de l'année 1900 préoccupait beaucoup le gouvernement. Ce qui l'inquiétait surtout, c'était les sympathies que la propagande ganait dans la population ouvrière. Malgré leur existence illégale, donc difficile, les deux partis socialistes [parti social-démocrate, d'influence marxiste, et parti socialiste-révolutionnaire, en désaccord avec la doctrine marxiste] possédaient dans les grandes villes des comités, des cercles de propagande, des imprimeries clandestines et des groupes assez nombreux. Le parti socialiste-révolutionnaire réussissait à commettre des attentats qui, par leur éclat, attiraient sur lui l'attention et même l'admiration de tous les milieux [attentats de ministres de l'intérieur, du gouverneur de Moscou... le but était de viser « les hauts fonctionnaires trop zélés ou trop cruels »]. Le gouvernement jugea insuffisants ses moyens de défense et de répression : la surveillance, le mouchardage, la provocation, la prison, les pogromes, etc. 


Afin de soustraire les masses ouvrières à l'emprise des partis socialistes et à toute activité révolutionnaire, il conçut un plan machiavélique qui, logiquement, devait le rendre maître du mouvement ouvrier. Il se décida à mettre sur pied une organisation ouvrière légale, autorisée, dont il tiendrait lui-même les commandes. Il faisait ainsi d'une pierre deux coups. D'une part il attirait vers lui les sympathies, la reconnaissance et le dévouement de la classe ouvrière ; d'autre part, il menait le mouvement ouvrier là où il le voulait, en le surveillant de près.
Sans aucun doute, la tâche était délicate. Il fallait attirer les ouvrier dans ces organismes d'Etat ; il fallait tromper leur méfiance, les intéresser, les flatter, les séduire, les duper, sans qu'ils s'en aperçussent ; il fallait feindre d'aller à la rencontre de leurs aspirations... il fallait eclipser les partis, rendre inefficace leur propagande, les dépasser – surtout par des actes concrets. Pour réussir, le gouvernement serait obligé d'aller jusqu'à consentir certaines concessions d'ordre économique et social, tout en maintenant les ouvriers à sa merci, tout en les maniant à sa guise.
L'exécution d'un pareil « programme » exigeait à la tête de l'entreprise des hommes donnant confiance absolue, et, en même temps, habiles, adroits, et éprouvés, connaissant bien la psychologie ouvrière, sachant s'imposer et gagner la confiance.
[...]
Ainsi le gouvernement du Tzar voulut jouer avec le feu. Il ne tarda pas à s'y brûler cruellement.

[...]
La thèse que le gouvernement entreprit d'imposer aux ouvriers dans leurs sections fut celle-ci : « Ouvriers, vous pouvez améliorer votre situation en vous y appliquant méthodiquement, dans les formes légales, au sein de vos sections. Pour aboutir, vous n'avez aucun besoin de faire de la politique. Occupez-vous de vos intérêts personnels concrets, immédiats, et vous arriverez bientôt à une existence plus heureuse. Les partis et les luttes politiques, les recettes proposées par de mauvais bergers – les socialistes et les révolutionnaires – ne vous mèneront à rien de bon. Occupez-vous de vos intérêts économiques immédiats. Ceci vous est permis, et c'est par cette voie que vous aboutirez à une amélioration réelle de votre situation. Le gouvernement, qui se soucie beaucoup de vous, vous soutiendra. » telle fut aussi la thèse que Gapone [le père Gapone, religieux, lui-même fils de paysan pauvre, avait été choisi dès 1900 par le Tzar, pour mener les sections ouvrières dans Saint-Petersbourg] et ses aides, recrutés parmi les ouvriers, prêchaient et développaient dans les sections."

LES PRÉMICES - Chapitre V

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire