Chapitre : les soleils des indépendances
Je suis né après les soleils des indépendances, mais Ils furent si incandescents, cramant toute la flore africaine, asséchant les cours d'eau et repoussant la faune au cœur de la brousse, que j'ai hérité d'un teint qui rappelle leur chaleur, et surtout la liesse, ces effusions interminables tandis que retentissait la voix du musicien congolais Grand Kalle chantant Indépendance Cha Cha. J'ai vu des images en noir en blanc de cette période. La fierté d'antan était ainsi de retour. Le Nègre pouvait assumer son histoire, choisir son chemin, ne plus courber l'échine. Sur les photos que me montrait mon père, je revois Lumumba descendre de l'avion à l'aéroport de Kinshasa, accueilli par une foule immense. Ses grosses lunettes. Sa chevelure, avec une raie au milieu. Il est grand, souriant. Il vient de discuter avec les Belges. Son discours adressé aux anciens colonisateurs n'était pas prévu, mais il a pris la parole de manière intempestive. Il a d'ailleurs écrit son texte à la hâte pendant que les autres se relayaient à la tribune. Il est hors de lui car, en ce 30 juin 1960, le roi Baudouin n'a, en somme, prononcé qu'un éloge de la colonisation. La Belgique aurait tout apporté aux Congolais, qui lui devront une reconnaissance sans mesure. La Belgique aurait décidé d'elle-même d'accorder l'indépendance au Congo. Lumumba piaffe d'impatience pendant que le roi parle, et il griffonne avec de plus en plus de frénésie. Il sait que les mots qui sortiront de sa bouche jetteront de l'huile sur le feu. Il se lève, surprend le service du protocole et lâche :
« Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des Nègres...
« Qui oubliera, enfin, les fusillades où périrent tant de nos frères, ou les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient pas se soumettre à un régime d'injustice, d'oppression et d'exploitation ? »
Deux conceptions de l'histoire s'opposent. Celle du colon, qui justifie, et celle du colonisé, qui condamne. C'est connu : le chasseur et le gibier n'auront jamais la même vision d'une partie de chasse.