samedi 16 avril 2016

Paris, 15 promenades sociologiques – Michel Pinçon & Monique Pinçon-Charlot, 2009.

Boulevard Saint-Germain : les symboles résistent.
Emporio Armani à droite, boutique Cartier à gauche, le promeneur à l’entrée de la rue de Rennes pourrait se croire avenue Montaigne ou rue du Faubourg Saint-Honoré. Aussi commence-t-on dans le quartier à parler de carré d’or pour désigner cette intrusion massive du luxe. On assiste à un véritable tir groupé, dans la logique de cet univers où se distinguer des collègues par une adresse atypique revient à prendre le risque de la marginalisation. La clientèle est par définition étroite et ne tolère l’originalité que dans le respect des canons de la transgression que représente la mode.  L’installation du luxe à Saint-Germain-des-Près suppose donc que certaines conditions soient remplies et que l’obstacle rédhibitoire d’une vie intellectuelle critique soit levé. Le triomphe de l’idéologie néolibérale a aussi pour effet d’installer Armani, Cartier, Dior sur les vestiges de Vian, Prévert, Picasso et Sartre.
Ch. 3 – Le luxe à la conquête de Saint-Germain-des-Prés

Une rue du Faubourg Saint-Antoine banalisée, des cours préservées.
Le terme gentrification est plus juste pour désigner la transformation des quartiers populaires de l’est parisien que celui d’embourgeoisement. « Gentrification » présente l’avantage de désigner, dans la littérature sociologique anglo-saxonne, « un phénomène à la fois physique, social et culturel en œuvre dans les quartiers populaires, dans lesquels une réhabilitation physique des immeubles dégradés accompagne le remplacement des ouvriers par des couches moyennes [Jean-Pierre Lévy, article « Gentrification », dictionnaire de l’habitat et du logement, Paris, Armand Colin, 2002].
Du côté du 11ème, on a l’esprit Bastille. Du côté 12è, très vite, c’est Aligre, avec son marché, et sa « commune » qui organise des fêtes populaires. (…) Dans les cours pavées où le lierre pousse en abondance, de hauts vélos hollandais équipés de paniers d’osier signalent un mode de vie qui mime le populaire pour mieux s’en distinguer.
Il en est ainsi de la cour du Bel-Air, au 56, avec ses pavés, ses lilas, sa vigne vierge et son citronnier… »
Ch. VII – La (re)prise de la Bastille


Traces du passé, rue de Charonne
Au n° 26, le passage Lhomme mêle les activités de reliure et d’ébenisterie à celle de l’édition. La muséification du passé est symbolisée par la présence de la cheminée d’une ancienne usine du XIXè siècle.
À l’entrée du passage, les boîtes aux lettres, remises à neuf, attestent par leur nombre de l’exiguïté des appartements. On retrouve tous les ingrédients de la gentrification : vélos, pavés et verdure évoquent un mode de vie plus bucolique qu’artisanal. Ce lieu de sociabilité exceptionnelle que sont les cours, les passages et autres impasses, véritables havres de paix à l’abri des turbulences urbaines, évoque l’image du village. La néo-bourgeoisie intellectuelle se réapproprie donc des espaces artisanaux transformés en lofts, mais aussi des bars.
Ch. VII – La (re)prise de la Bastille

La Villa Émile-Loubet : l’entre-soi des classes moyennes intellectuelles.
On passe devant les entrées d’autres villas qu’il est bien entendu possible d’arpenter à sa guise. Emprunter sur la gauche la dernière, dédiée à Félix Faure. La présence de classes moyennes intellectuelles est confirmée par des avertissements débonnaires, du genre « Chat gentil » ou « Danger : exploitation forestière », qui ne sont pas incompatibles avec la présence de caméras de surveillance.
Il est vrai que, peu ou prou, en fonction des spécificités — les origines de l’opération, la qualité du bâti, l’importance des surfaces privées et collectives, l’environnement et son évolution —, l’embourgeoisement des villas et des cités est la règle. La Mouzaïa ne compte plus guère de représentants du Paris populaire érodé par l’évolution des activités et celle des prix immobiliers. Pour autant, ces villas limitent leurs ambitions aux professions intellectuelles supérieures ou aux cadres moyens, à ces couches sociales qui doivent plus leur position et leur aisance relative à leur capital culturel et scolaire qu’à leur capital économique. (…)
Les sociétés et canons architecturaux changent plus vite que les constructions et les monuments : le hiatus entre l’ancien et le nouveau donne de la valeur aux traces du passé et fait considérer avec méfiance les créations nouvelles. C’est l’un des moteurs de la gentrification des vœux quartiers populaires : leur poésie est liée à la nostalgie des époques disparues.
Ch. XI – Villages dans la ville : les villas de Paris

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