samedi 16 avril 2016

Homo-ghetto, Franck Chaumont, 2009


     Si elle n'était que l'héritage et le prolongement de l'homophobie qui a cours dans les pays d'origine, l'homophobie de nos banlieues devrait progressivement s'atténuer. Or, tandis que l'homosexualité se normalise, voire impose ses codes esthétiques et culturels dans les centres-villes, celle de cités-ghettos s'enferme toujours davantage dans le déni, l'intolérance et la clandestinité. Comment expliquer cela ?


     Les quartiers populaires ont subi une décomposition sociale accélérée dans les années 90. Alors que l'économie française connaissait une certaine reprise avec la fameuse croissance, les chômage des masses s'est mis à faire des ravages. Dans leurs politiques du logement, les offices HLM, comme bon nombre de communes, ont tourné le dos à la mixité sociale. À cause des égoïsmes politiques locaux, le partage des richesses n'a pas eu lieu, et nos banlieues n'ont fait que se paupériser. Les classes moyennes, quand elles le pouvaient, s'empressèrent de déserter les quartiers pour les abandonner aux personnes à plus faibles revenus. Cette politique aveugle de ghettoïsation sociale a eu pour conséquence l'apparition de véritables enclaves ethniques, et il n'est pas rare aujourd'hui que des ensembles d'immeubles aient pour seuls occupants des Maghrébins, Africains Comoriens, Turcs, etc. Coupés géographiquement et culturellement du reste de la société, les jeunes de la troisième génération se sont donc retrouvés entre eux, enfermés dans des cités enclavées qu'ils qualifient eux-mêmes de prisons à ciel ouvert.
     Victimes du manque de politique volontaire de l'État et des communes, les associations républicaines qui encadraient ces jeunes dans la pure tradition de l'éducation populaire ont dû céder du terrain. Pendant ce temps fleurissaient des associations cultuelles ou culturelles, avec lesquelles bien des élus ont trouvé intérêt à traiter par clientélisme politique. Quand on peut acheter la paix sociale dans le quartier auprès d'un imam ou d'un représentant de telle ou telle communauté, pourquoi s'en priver ? Cette politique du cynisme et de l'irresponsabilité, devenue monnaie courante à droite comme à gauche à la fin des années 80, perdure encore aujourd'hui.
     Dans un tel contexte de relégation et d'abandon, il est difficile de se sentir encore concerné par les valeurs républicaines incarnées dans la devise "Liberté, égalité, fraternité". C'est ce qui explique que de nombreux jeunes se soient repliés sur leur identité culturelle, religieuse ou sexuelle. Le fondamentalisme religieux, en particulier l'islamisme, y a trouvé les meilleures conditions qui soient pour développer son discours combinant victimisation, sexisme, machisme et homophobie. La solidarité et l'entraide, qui étaient de mise à d'autres époques dans les anciens quartiers populaires, ont fait place à la "loi du plus fort" : chacun doit se fondre dans le moule sous peine d'être traduit devant le tribunal social et communautaire.
     Et c'est en cela que l'homophobie des cités est singulière. Elle ne peut être mise sur le même plan que celle dont furent victimes en Occident les homosexuels d'hier, ou celle dont souffrent aujourd'hui les homosexuels des pays musulmans.
     Car bien au-delà de l'homophobie, c'est un dévoiement général des valeurs et du rapport à l'autre qui s'exprime à travers ce qu'il faut bien considérer comme un symptôme.

Franck Chaumont, Homo-Ghetto. Gays et les biennes dans les cités : les clandestins de la République. Chapitre "La république à deux vitesses".

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